Lorsque nous apaisons notre esprit, notre conscience est pareille à la surface d’un lac paisible, et si l’on tourne notre regard vers elle on peut y contempler sans (trop de) préjugés et avec bien moins de barrière notre reflet. On gagne parfois en conscience de soi de cette façon. Souvent on peut au moins apprendre à s’accepter un peu plus.
Ainsi le légendaire Arthur a-t-il pu contempler son propre reflet sur la surface du Lac et y voir avec surprise mais sérénité les traits d’une Dame. Sa virilité n’était pas en cause et il a sûrement bien souvent encore tiré l’épée du rocher. Cette Dame en lui, non seulement il l’a acceptée, mais il l’a écoutée. Il l’a écoutée non seulement comme une conseillère, mais plus encore comme le messager de Dieu et lui a obéit avec intransigeance pour accomplir sa destinée à lui.
Loin de lui conseiller de se retirer dans la chaleur de ses appartements pour s’y abandonner aux joies de la poésie ou aux voluptés du thé entre copines, c’est elle qui l’a appelé à assumer ses responsabilités et à fonder la Table Ronde, à rassembler tous les cœurs suffisamment humbles et déterminés pour prétendre accéder un jour au Graal : flot du sang divin.
Rien de sanguinaire la dedans je pense ; sinon il aurait lancé un petit commerce de boudin sur les marchés. Et ça aurait fait ton sur ton avec les spécialités locales puisque, comme le savent tous les érudits, en Bretagne, on était alors « surtout forts en pommes ». N’empêche qu’il lui en a sûrement fallu des testi-balls au père Arthur pour s’imposer comme chef devant une bande de païens un peu golgoths dont la musique faisait pas forcément partie des mœurs. Et ça, en leur disant qu’une « bonne femme » lui avait parlé et qu’on allait voir ce qu’on allait voir ? Respect !
Les temps ont changés. Les fier-à-bras modernes ne se mettent plus sur la gueule à grands coups d’épée. Remarquez il s’échangent pas toujours des politesses non plus. Et même quand il le font, c’est pas toujours pour se témoigner respect et affection. Ça peut même tourner au concours. Il suffit pour s’en convaincre d’observer un peu les bobos : la connaissance supérieure qu’ont ces gens de l’art de ne pas faire un pet plus haut que l’autre, de toujours ménager à outrance la sensibilité des gens dont ils veulent s’attirer les faveurs, ou encore cette façon qu’ils peuvent avoir de surenchérir dans le bien-pensant : tout ça est très intéressé et sert de fondation à leur orgueil qui est une Tour dont ont ne voit plus le sommet, une répugnante Maison-Dieu bâtie dans un bois éco-responsable hors de prix, un simulacre d’amour-propre bricolé avec le tout venant d’une société où la compétition est constante et exacerbée par la taille démesurée des cités qui vous menacent sans cesse de plonger dans l’anonymat des relations interchangeables.
Bref, la distinction fait donc encore rage. Autant, peut être même plus qu’à l’époque où un homme se prenait pour le roi du pétrole parce qu’il pouvait défourailler tous ceux qui passait. De ce fait là, un certain nombre courants de la psychologie et de la spiritualité nous ont souvent incités à connaître et accepter notre partie féminine. Mais de toute évidence cette soi-disant « féminité » qu’on attribue à une part de nous est une pure vue de l’esprit façonnée par la culture de notre société. Ayons le courage de le reconnaître : les différences entre hommes et femmes se résument à très peu de choses, principalement physiques. Il paraît très douteux que le moi profond, l’âme, puisse être sexuée ; plutôt dénaturée par les préjugés d’une société qui divise en catégories, étiquette et donne un genre sexuel à tout et n’importe quoi. Grenadine pour les filles, menthe pour les garçons, vanille pour les filles, chocolat pour les garçons … Ridicule n’est-ce pas ?
Vu le rôle occupé par les média, notre « idéal » de virilité a donc plus de chance de ressembler à Steven Seagall qui distribue des taquets plus vite que n’écrit son scénariste qu’au Mahatmah Ghandi qui fait marquer des points au pacifisme en restant immobile, son petit corps de crevette enroulé dans un genre de drap qui le fait ressembler à un sac plastic accroché à un arbuste très noueux (je me demande si on s’est déjà arrêté pour lui demander « c’est combien ? »).
Notre société permet aux hommes de s’épiler les poils du nez ou des oreilles (non pas ce nez et ces oreilles là, enfin à la réflexion si … aussi …) sans que leur virilité soit vraiment remise en question et pourtant, quant on pense au héros … à quoi ont pense au juste ?… On pense souvent je crois :
– à un mec qui agit seul face contre une armée entière ou alors accompagné de gens mais à qui il dit tout ce qu’ils doivent faire, sans quoi ils seraient sans doute perdus ;
– à un gros con à qui on peut rien dire sans s’en prendre une, surtout si on a un accent russe ou arabe, que Stallone est en colère, ou qu’il poursuit un méchant en voiture en manquant de tuer une veille qui traîne le supplice de ses rhumatismes en même-temps que son caddy de commissions ;
– à un mec encore plus débile qui accède à la notoriété sans rien apporter de mémorable à qui que ce soit ;
– à un rebelle qui envoie tout le monde se faire foutre d’un revers de bouteille de Jack Daniel’s avant d’enfourcher sa moto les cheveux au vent, cheveux qui seront donc très probablement bientôt collés au bitume par le sang et la cervelle (et va pour la postérité!) ;
– à n’importe lequel de ces gars là ou à n’importe quel autre, pourvu qu’il se tape (ou peut se taper) tout ce qui bouge avec (environ) deux seins et une moule.
Reconnaissez qu’avec des options comme celles là, il vaudrait mieux que tous les mecs restent chacun chez soi, avec une collection de DVD de Seagall, de Siffredi et de James Dean. C’est bien moins risqué pour l’ordre public et la bonne santé de chacun.
Pour ne rien arranger, en fait de s’en remettre à la féminité comme conseillère, on ne peut pas toujours compter sur les femmes. Elles ont été éduquées à la même école que nous et trouvent souvent, elles aussi, que la gentillesse n’est pas virile et que le calme déterminé lorsqu’elles attendent un coup de sang paternaliste est la marque des chiffes-molles. Soyons honnêtes : le droit de baiser fait souvent aux hommes l’effet d’un Oscar décerné « pour l’ensemble de leur œuvre » et de leurs principes qu’il n’est donc plus besoin de perfectionner ou de remettre en question, alors qu’il n’est pas toujours très compliqué de trouver … disons « une chaussure à son pied » (« pas classe! »). Les femmes de leur coté n’ont pas toujours l’air consciente de cette responsabilité qu’elles portent un peu malgré elles. D’ailleurs ce serait peut être à nous d’en tirer d’abord les conséquences. Ce qui me paraît sûr, c’est que comme la vigne doit être stressée pour faire un grand cru, le jus de mes couilles a besoin de se faire désirer pour être un peu magique.
En résumé : être gentil, juste et droit dans ses bottes est un bon moyen de passer pour un looser sans couille. Aux yeux des hommes comme à ceux des femmes. Un câlin entre hommes ? C’est une cuti qu’on vire. Un pardon accordé à celui qui blesse parce qu’il est malheureux ? C’est un acte de lâcheté. Non, excusez moi : bien avant le pardon, le simple fait se demander s’il n’a pas fait ça par dépit et détresse plutôt que par égotisme et méchanceté, cette simple interrogation là, c’est déjà de la faiblesse. Génial !
Et qui peut dire qu’il se fout vraiment du regard des autres ? Qui peut affirmer sans amnésie même partielle, sans alcool et sans trembler des genoux qu’il n’a aucun besoin du regard des autres pour bâtir le sentiment de sa propre virilité ? Et si c’était le cas, aurions-nous tant besoin de l’espace de liberté que peur offrir un groupe d’ami partageant vos valeurs pour ceux qui veulent vivre leurs principes et leurs moi profond à repousse-poil total des valeurs inscrites dans l’inconscient collectif de la grande république de Sois-beau-fort-et-con ?
A bien y regarder, la virilité n’est peut être rien d’autre que le courage nécessaire pour envoyer tous ceux qui nous mettent des bâtons dans les roues ou du moins du poids sur les épaules en exerçant sur nous la force de ces préjugés là (et aussi de leur pardonner parce qu’ils sont un peu cons et très inconscients, mais gentils au fond).
A bien y regarder le gentil qui préfère ne rien dire et pardonner, prendre des coups sans en rendre, a sans doute besoin de deux fois plus de virilité pour agir comme il le fait.
A bien y regarder, avoir le courage d’écouter la Dame du Lac c’est retrouver retrouver une part de notre moi profond que nous avons bannie.
Pour ne rien arranger, pendant que je taille le bout de gras sur la virilité, aux États-Unis, des enfants meurent des balles qui les protègent de la tyrannie du roi d’Angleterre.